RESURRECTION 2 (Juillet 1956) : LE SAINT-ESPRIT
96 pages
SOMMAIRE
Editorial : l’impossible unité
Pages 1 à 2
André FEUILLET, p.s.s.
De Babel à la Pentecôte
Pages 3 à 16
Michel COLONI
L’Esprit unificateur
Pages 17 à 24
André BRIEN
Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté
Pages 25 à 33
Henri TEISSIER
Les délais de l’Esprit
Pages 34 à 42
Pierre IDIART
Le sacrement du Temporel
Pages 43 à 59
CHRONIQUES
Pierre CHIBON
Réflexions sur le Père Teilhard de Chardin
Pages 61 à 66
Louis BOUYER, de l’Oratoire
La Bible de Jérusalem
Pages 67 à 69
Antoine TRAVERS
Une nouvelle Encyclopédie
Pages70 à 72
Elie PASCAL
L’Eglise et la morale de situation
Pages 73 à 75
Yves de GENTIL-BAICHIS
Le cinéma : Continent perdu
Pages 76 à 78
DOSSIERS
I. Théologie du problème colonial
Pages 79 à 88
II. Livres à lire
Pages 89 à 94
Garanties sécurité
L’impossible unité
Le monde est cassé et nous avons la nostalgie de l’unité détruite, la hantise de la reconstruire.
Un simple regard sur la mappemonde, la lecture du journal, l’écoute de la radio nous persuadent que le progrès scientifique n’a en rien amélioré l’entente internationale : la paix du monde est de plus en plus fragile, et son destin angoisse chacun d’entre nous.
Dans le milieu professionnel comme dans le milieu familial, la même douloureuse expérience se renouvelle. A cela près que, nous y trouvant plus directement en contact avec le réel, nous mesurons davantage la résistance qu’il oppose à notre vœu et à notre effort : amitié ou amour sont plus souvent rêvés que réalisés. Quels que soient les noms dont on les baptise, passions ou complexes, les obstacles que notre vie affective oppose à toute forme de compréhension mutuelle sont un fait d’expérience courante.
Jusqu’au cœur de notre personnalité ce phénomène de dispersion dégradante est ressenti, nous éprouvons une immense difficulté à intégrer harmonieusement, à unifier toutes les tendances qui composent notre moi, et nous faisons sans fin l’expérience d’un saint Paul : « Ce que je veux, je ne le fais pas ; ce que je ne veux pas, je le fais. »
Le chrétien qui expérimente sa propre impuissance à résoudre cette difficulté, cette énigme, se tourne vers la Révélation. Il en attend à la fois une lumière qui l’éclaire sur les raisons de cette impasse, et le moyen concret d’en sortir. Ce n’est pas par des moyens de coercition humains que nous arriverons à reconstituer l’unité disparue : ni guerre, ni police, ni camp de concentration ne peuvent y parvenir. Ce n’est pas une mystique humaine qui le pourra davantage : il n’en est pas qui ait rassemblé durablement les hommes, ni qui ait réussi à unifier définitivement leur vie spirituelle. Il faut que Dieu, par un coup de force, fasse brèche dans le mur auquel nous sommes acculés.
Le premier enseignement que la Bible peut lui donner nous est présenté par M. Feuillet : toute l’histoire du Salut se développe comme une dialectique de la dispersion et de l’unité. La première est conséquence de la révolte orgueilleuse de l’homme contre Dieu. Le salut sera précisément œuvre de réunion, de rassemblement, d’unification. Paradoxe de l’action de Dieu : cette entreprise suppose initialement un choix exclusif, mais par lui c’est l’unité de l’univers tout entier qui se réalise progressivement. Seul Dieu peut unir les hommes, mais pour cela son amour leur demande d’abord une rupture.
C’est Dieu qui est l’auteur de l’unité. Le chrétien découvre dans la contemplation du mystère de la Trinité la raison profonde de cette décision, en même temps que celui qui en est l’artisan, l’Esprit Saint. Ce que nous tendons à réduire à une morale de l’altruisme ou de la philanthropie est en réalité conséquence de l’être même de Dieu. Le chrétien, hanté par le souci de refaire l’unité, veut prolonger dans la création un ordre et une cohésion intérieure au Créateur. C’est le sens de l’article de M. Coloni.
Mais cet Esprit, qui scelle l’unité divine, est encore celui qui achève celle de chaque homme. Dieu seul est suffisamment au cœur de nous-mêmes pour que son action, loin d’éliminer notre liberté, l’exalte et lui donne d’intégrer toutes nos facultés dans l’élan et l’engagement de notre liberté : M. Brien, relisant saint Paul, nous en donne l’explication ;
Ces interventions de l’Esprit à l’œuvre dans le monde ne se développent pas seulement dans l’intimité de la conscience individuelle mais par la médiation d’une société visible, l’Eglise de Jésus-Christ. La lenteur des progrès de cette dernière fait parfois douter qu’elle soit toujours habitée par l’Esprit, de même que la précarité des résultats de notre évolution religieuse personnelle peut faire douter qu’elle atteigne à son terme : l’union à Dieu. L’étude d’histoire de l’Eglise menée par M. Teissier peut nous convaincre que la pédagogie divine est lente, l’action de l’Esprit accepte des délais. Que le Royaume n’avance pas plus vite ne doit nullement mettre en cause notre foi ni notre confiance dans l’issue finale de la lutte menée par l’Esprit pour le rassemblement de toute l’humanité en Dieu.